samedi 24 mai 2014

Réflexions sur une dame lilloise

 
Chacun se souvient de ce petit drame qui s’est joué sur une ligne du métro de Lille. Une femme, mère de famille, harcelée et molestée par un ivrogne.
Assez banal.
Ce qui a retenu l’attention des observateurs (dont aucun n’était sur place, et n’a donc rien observé du tout), c’est la passivité des voyageurs, tous des hommes, allant jusqu’à quitter le wagon pour ne pas être importunés par la scène.
Oh ! Si l’on en a glosé !
Quelle lâcheté ! ont renchéri les courageux de la plume, qui me font irrésistiblement penser à ces « résistants » qui, un demi-siècle plus tard, n’en finissent pas de bouter hors de France la peste brune, à coups de micro naturellement.

Deux réflexions me viennent à l’esprit (que j’ai fort lent, ce billet en est la preuve).
Oncques, ne vais-je point développer celui de la lâcheté. Le pochard était seul. La bouteille d’alcool pouvait servir d’arme, mais c’était néanmoins un adversaire de peu de poids pour une dizaine d’hommes agissant de concert. On ne dit rien de sa corpulence. D’ailleurs, la grosse presse ne dit rien qui puisse expliquer quoi que ce soit. Pas de photo. Pas d’extrait d’une bande magnétique des caméras de surveillance. Voilà des journalistes bien peu curieux.

Si. On a appris le prénom de l’agresseur. Ce n’était ni Kévin ni Emmanuel, ni David ni Christian. Il s’agissait d’un Abdelnour, qui a écopé sur l’heure de dix-huit mois de tôle. On a appris aussi que les voyageurs étaient d’ignobles mâles passifs, dont on retrouverait la trace. Na !
On attend toujours, d’ailleurs. Nous vivons à l’heure de l’instantané. Le téléspectateur digère son brouet quotidien, et une soupe tièdasse chasse la précédente.

Opération de com’ ?


Votre serviteur, dont le mode de vie, enviable par ceux qui l’ignorent, met à l’abri du tapage médiatique, en vient à sa première question. La justice en courroux se serait-elle montrée aussi ferme et rapide si l’agresseur s’était prénommé Kévin ou Christian ?
Je n’oublie pas que c’est un emmerdeur itératif qu’il est « défavorablement connu des services de police », mais quand même… Il en est tant, des « défavorablement », arrêtés pour la quinzième fois, qui gambadent librement loin de nos prisons, si attractives qu’elles sont surpeuplées, malgré les efforts de Taubira-karaoké.
Qu’on ne me croit pas en train de défendre les immigrés en général, que je considère comme indésirables, pour tout un tas de raisons et d’abord celui de leur nombre ; mais quand même, ce jugement rapide, cela me semble assez… démonstratif.
La clique au pouvoir voulait-elle envoyer un message aux Français ? « Vous voyez, on ne laisse rien passer. L’alcoolo excité, au trou. »
(On oublie les gangs de dealers, ça mettrait les cités en ébullition. Mais le pochard aux mains baladeuses, hop, derrière les barreaux. Même s’il s’appelle Abdelnour)
Message reçu ? La Fronze est rassurée. Pourquoi voter FN. Nous sommes là, avec Manu-les-valseuses à la barre.
Et devant leur télé, bobonne à sa moitié, qui a voté FN aux dernières élections : « Tu vois, toi qui parles toujours des étrangers et de l’insécurité, on peut « leur » faire confiance. « Ils » ne laissent rien passer. »
(Sauf les caïds en Ferrari, bien sûr)
Message reçu ? Abdelnour en tôle, cela vous signe « une autre politique », non ?
Opération de com’, le musulman, cependant alcoolisé, envoyé au ballon pour conduite (pour le moins) indélicate, c’était ma première réflexion.

« De quoi tu te mêles, connard ! »


La seconde m’est suggérée par l’unanime mise au pilori des passagers dont la couardise a été stigmatisée.
Personne n’étant là pour les défendre, et l’affaire étant déjà oubliée, je leur donne fictivement la parole. Qu’ont-ils à dire pour leur défense ?

1 - Je ne suis pas courageux, je le sais. Un coup, ça fait mal.
2 - Ça s’est passé très vite, je n’y comprenais rien.
3 - J’ai cru qu’ils se connaissaient. Il m’est arrivé une histoire du même genre, et c’est la femme qui s’est retournée contre moi : « De quoi tu te mêles, connard ! »
4 - Ça n’est pas mes affaires, ce genre d’histoire. Je suis un type pacifique.
5 - Ça n’est pas mon problème, la police est là pour ça, je paie assez d’impôts.
6 - Il y a sans arrêt des agressions dans ce métro. Ils ne font rien, tant pis pour eux.
7 - J’allais y aller, mais je me suis dit : où ça va me mener ? Les flics, une enquête… et j’avais déjà raté le « Vingt heures ».
8 - Avec la mentalité d’aujourd’hui, c’est moi qu’on aurait accusé. Je lui aurais pété quelques dents, il aurait fallu que je paie le dentiste !
9 - S’il n’y avait pas eu la bouteille… Il la cassait, et… Avec ces types-là, on peut s’attendre à tout.
10 - Elle n’avait qu’à se débrouiller. Je ne la connais pas, moi, cette bonne femme.
11 - Vous m’accusez de non assistance ? Qu’est-ce que vous auriez fait à ma place, honnêtement ?
12 - Je suis sorti du wagon, c’est vrai. J’étais excédé. Ça fait des années que ça dure. Ils n’ont qu’à faire leur boulot, comme je fais le mien.
13 - Je ne sais pas… Personne ne bougeait. J’ai suivi les autres, je me suis dit qu’ils devaient avoir raison.

Instinct de protection


On trouve dans ces « témoignages » nombre de justifications pseudo-logiques*, qui tendent à justifier la simple peur. Mais aussi quelques thèmes qui peuvent se résumer ainsi :
-       peur du risque, éventuellement réel (1, 9) ;
-       rejet argumenté des autorités policières et judiciaires, et plus généralement des « responsables » (5, 6, 7, 8, 12) ;
-       panurgisme (11, 13) ;
-       absence d’un sentiment de cohésion avec la victime.
Ce « sentiment absent » se remarque surtout dans les « réponses » 4 et 10, mais sous-tend, bien évidemment, tout le reste.
Les têtes pensantes ont suffisamment vilipendé cette déroute d’un « lien social » pour qu’on s’interroge à ce sujet.
Laissons « social » de côté. Ce « social » qui fait cossu, mais ne signifie rien. Reste le « lien », qui n’est autre que l’instinct qui pousse, plus ou moins, à protéger son semblable.
Ce lien se renforce ou s’affaiblit selon différentes « forces » :
-       proximité affective avec la victime, actuelle ou potentielle ;
-       vulnérabilité, faiblesse de celle-ci ;
-       intensité du danger encouru par la victime ;
-       risque encouru par le sauveteur, évalué subjectivement .

Il est bien évident qu’un parent ira au secours de son enfant (forte proximité), d’autant plus que le péril dans lequel celui-ce se trouve est grand, et quel que soit le risque. Nous irons au secours d’un enfant quelconque plus qu’à celui d’un adulte. Nous irons au secours d’un camarade menacé, d’un frère d’armes, mais pas de façon inconditionnelle. Un compatriote sera davantage soutenu qu’un parfait étranger. Une femme (vulnérable ?) suscitera un comportement de protection, dans la mesure où elle semble le requérir. 
Une femme serait peut-être allée au secours de la femme du métro, par solidarité féminine. Existe-t-il encore, chez les hommes, un instinct de protection à l’égard des femmes, auquel soit étranger toute autre notion ? Je ne sais. En tout cas, elles ont tout fait pour que ce lien s’affaiblisse. L’ « homme viril » est plutôt moqué que célébré.

Je ne prétends pas faire le tour de la question. Je remarque toutefois que cet instinct de protection ne se manifeste pas seulement dans l’action. Il se manifeste aussi, de façon passive, par la compassion. Il se manifeste également, de façon décalée, quand toute action sur le vif était impossible, par le désir de vengeance ; ou sur le mode mineur, de rétribution.
Ce désir de vengeance, tellement normal, mais décrit comme brutal et archaïque. Le débat sur la peine de mort a été enterré sous des tonnes de « bons sentiments », le rouvrira-t-on un jour ?

Qu’auriez-vous fait ?


Il est bon aujourd’hui de s’indigner des effets dont on est la cause, sans crainte de dire une chose et son contraire. Cette sottârde de Laurence Rossignol peut à la fois déplorer que personne ne vienne à son aide pour une carte de crédit (enjeu mineur) subtilisée par un groupe de racailles (risque élevé) dans l’indifférence des témoins de la scène, et affirmer que les enfants n’appartiennent pas à leurs parents. 
Le « lien social », souhaitable quand il concerne sa petite personne, devrait-il être mis aux abonnés absents lorsqu’il est le plus fort, le plus évident ?

On a toujours su que les imbéciles sont plus dangereux que les méchants.
Une Rossignol, qui voulait que les fliquettes soient accompagnées par d’autres fliquettes jusqu’à leur domicile afin de leur éviter d’être agressées, est (parmi tant d’autres) une personne éminemment dangereuse.

Je ressens un peu de honte en pensant à ces hommes qui ont mis leur testostérone au vestiaire, mais je ne peux m’empêcher de demander, comme mon interlocuteur numéro 11 : qu’auriez-vous fait ?


* voir mon précédent billet

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