Chacun se souvient de ce
petit drame qui s’est joué sur une ligne du métro de Lille. Une femme, mère de
famille, harcelée et molestée par un ivrogne.
Assez banal.
Ce qui a retenu l’attention
des observateurs (dont aucun n’était sur place, et n’a donc rien observé du
tout), c’est la passivité des voyageurs, tous des hommes, allant jusqu’à
quitter le wagon pour ne pas être importunés par la scène.
Oh ! Si l’on en a
glosé !
Quelle lâcheté ! ont
renchéri les courageux de la plume, qui me font irrésistiblement penser à ces
« résistants » qui, un demi-siècle plus tard, n’en finissent pas de
bouter hors de France la peste brune, à coups de micro naturellement.
Deux réflexions me viennent
à l’esprit (que j’ai fort lent, ce billet en est la preuve).
Oncques, ne vais-je point
développer celui de la lâcheté. Le pochard était seul. La bouteille d’alcool
pouvait servir d’arme, mais c’était néanmoins un adversaire de peu de poids
pour une dizaine d’hommes agissant de concert. On ne dit rien de sa corpulence.
D’ailleurs, la grosse presse ne dit rien qui puisse expliquer quoi que ce soit.
Pas de photo. Pas d’extrait d’une bande magnétique des caméras de surveillance.
Voilà des journalistes bien peu curieux.
Si. On a appris le prénom de
l’agresseur. Ce n’était ni Kévin ni Emmanuel, ni David ni Christian. Il
s’agissait d’un Abdelnour, qui a écopé sur l’heure de dix-huit mois de tôle. On
a appris aussi que les voyageurs étaient d’ignobles mâles passifs, dont on
retrouverait la trace. Na !
On attend toujours,
d’ailleurs. Nous vivons à l’heure de l’instantané. Le téléspectateur digère son
brouet quotidien, et une soupe tièdasse chasse la précédente.
Opération de com’ ?
Votre serviteur, dont le
mode de vie, enviable par ceux qui l’ignorent, met à l’abri du tapage
médiatique, en vient à sa première question. La justice en courroux se
serait-elle montrée aussi ferme et rapide si l’agresseur s’était prénommé Kévin
ou Christian ?
Je n’oublie pas que c’est un
emmerdeur itératif qu’il est « défavorablement connu des services de
police », mais quand même… Il en est tant, des
« défavorablement », arrêtés pour la quinzième fois, qui gambadent
librement loin de nos prisons, si attractives qu’elles sont surpeuplées, malgré
les efforts de Taubira-karaoké.
Qu’on ne me croit pas en
train de défendre les immigrés en général, que je considère comme indésirables,
pour tout un tas de raisons et d’abord celui de leur nombre ; mais quand
même, ce jugement rapide, cela me semble assez… démonstratif.
La clique au pouvoir
voulait-elle envoyer un message aux Français ? « Vous voyez, on ne
laisse rien passer. L’alcoolo excité, au trou. »
(On oublie les gangs de
dealers, ça mettrait les cités en ébullition. Mais le pochard aux mains
baladeuses, hop, derrière les barreaux. Même s’il s’appelle Abdelnour)
Message reçu ? La
Fronze est rassurée. Pourquoi voter FN. Nous sommes là, avec Manu-les-valseuses
à la barre.
Et devant leur télé, bobonne
à sa moitié, qui a voté FN aux dernières élections : « Tu vois, toi
qui parles toujours des étrangers et de l’insécurité, on peut
« leur » faire confiance. « Ils » ne laissent rien
passer. »
(Sauf les caïds en Ferrari,
bien sûr)
Message reçu ?
Abdelnour en tôle, cela vous signe « une autre politique »,
non ?
Opération de com’, le musulman, cependant alcoolisé, envoyé au ballon pour conduite
(pour le moins) indélicate, c’était ma première réflexion.
« De quoi tu te mêles, connard ! »
La seconde m’est suggérée
par l’unanime mise au pilori des passagers dont la couardise a été stigmatisée.
Personne n’étant là pour les
défendre, et l’affaire étant déjà oubliée, je leur donne fictivement la parole.
Qu’ont-ils à dire pour leur défense ?
1 - Je ne suis pas
courageux, je le sais. Un coup, ça fait mal.
2 - Ça s’est passé très
vite, je n’y comprenais rien.
3 - J’ai cru qu’ils se
connaissaient. Il m’est arrivé une histoire du même genre, et c’est la femme
qui s’est retournée contre moi : « De quoi tu te mêles,
connard ! »
4 - Ça n’est pas mes
affaires, ce genre d’histoire. Je suis un type pacifique.
5 - Ça n’est pas mon
problème, la police est là pour ça, je paie assez d’impôts.
6 - Il y a sans arrêt des
agressions dans ce métro. Ils ne font rien, tant pis pour eux.
7 - J’allais y aller, mais
je me suis dit : où ça va me mener ? Les flics, une enquête… et
j’avais déjà raté le « Vingt heures ».
8 - Avec la mentalité
d’aujourd’hui, c’est moi qu’on aurait accusé. Je lui aurais pété quelques
dents, il aurait fallu que je paie le dentiste !
9 - S’il n’y avait pas eu la
bouteille… Il la cassait, et… Avec ces types-là, on peut s’attendre à tout.
10 - Elle n’avait qu’à se
débrouiller. Je ne la connais pas, moi, cette bonne femme.
11 - Vous m’accusez de non
assistance ? Qu’est-ce que vous auriez fait à ma place, honnêtement ?
12 - Je suis sorti du wagon,
c’est vrai. J’étais excédé. Ça fait des années que ça dure. Ils n’ont qu’à
faire leur boulot, comme je fais le mien.
13 - Je ne sais pas…
Personne ne bougeait. J’ai suivi les autres, je me suis dit qu’ils devaient
avoir raison.
Instinct de protection
On trouve dans ces
« témoignages » nombre de justifications pseudo-logiques*, qui
tendent à justifier la simple peur. Mais aussi quelques thèmes qui peuvent se
résumer ainsi :
-
peur du risque,
éventuellement réel (1, 9) ;
-
rejet argumenté des
autorités policières et judiciaires, et plus généralement des
« responsables » (5, 6, 7, 8, 12) ;
-
panurgisme (11,
13) ;
-
absence d’un sentiment
de cohésion avec la victime.
Ce « sentiment
absent » se remarque surtout dans les « réponses » 4 et 10, mais
sous-tend, bien évidemment, tout le reste.
Les têtes pensantes ont
suffisamment vilipendé cette déroute d’un « lien social » pour qu’on
s’interroge à ce sujet.
Laissons
« social » de côté. Ce « social » qui fait cossu, mais ne
signifie rien. Reste le « lien », qui n’est autre que l’instinct qui
pousse, plus ou moins, à protéger son semblable.
Ce lien se renforce ou
s’affaiblit selon différentes « forces » :
-
proximité affective
avec la victime, actuelle ou potentielle ;
-
vulnérabilité,
faiblesse de celle-ci ;
-
intensité du danger
encouru par la victime ;
-
risque encouru par le
sauveteur, évalué subjectivement .
Il est bien évident qu’un
parent ira au secours de son enfant (forte proximité), d’autant plus que le
péril dans lequel celui-ce se trouve est grand, et quel que soit le risque.
Nous irons au secours d’un enfant quelconque plus qu’à celui d’un adulte. Nous
irons au secours d’un camarade menacé, d’un frère d’armes, mais pas de façon
inconditionnelle. Un compatriote sera davantage soutenu qu’un parfait étranger.
Une femme (vulnérable ?) suscitera un comportement de protection, dans la
mesure où elle semble le requérir.
Une femme serait peut-être allée au secours
de la femme du métro, par solidarité féminine. Existe-t-il encore, chez les
hommes, un instinct de protection à l’égard des femmes, auquel soit étranger
toute autre notion ? Je ne sais. En tout cas, elles ont tout fait pour que
ce lien s’affaiblisse. L’ « homme viril » est plutôt moqué que
célébré.
Je ne prétends pas faire le
tour de la question. Je remarque toutefois que cet instinct de protection ne se
manifeste pas seulement dans l’action. Il se manifeste aussi, de façon passive,
par la compassion. Il se manifeste également, de façon décalée, quand toute
action sur le vif était impossible, par le désir de vengeance ; ou sur le
mode mineur, de rétribution.
Ce désir de vengeance,
tellement normal, mais décrit comme brutal et archaïque. Le débat sur la peine
de mort a été enterré sous des tonnes de « bons sentiments », le
rouvrira-t-on un jour ?
Qu’auriez-vous fait ?
Il est bon aujourd’hui de
s’indigner des effets dont on est la cause, sans crainte de dire une chose et
son contraire. Cette sottârde de Laurence Rossignol peut à la fois déplorer que
personne ne vienne à son aide pour une carte de crédit (enjeu mineur)
subtilisée par un groupe de racailles (risque élevé) dans l’indifférence des
témoins de la scène, et affirmer que les enfants n’appartiennent pas à leurs
parents.
Le « lien social », souhaitable quand il concerne sa petite
personne, devrait-il être mis aux abonnés absents lorsqu’il est le plus fort,
le plus évident ?
On a toujours su que les
imbéciles sont plus dangereux que les méchants.
Une Rossignol, qui voulait
que les fliquettes soient accompagnées par d’autres fliquettes jusqu’à leur
domicile afin de leur éviter d’être agressées, est (parmi tant d’autres) une
personne éminemment dangereuse.
Je ressens un peu de honte
en pensant à ces hommes qui ont mis leur testostérone au vestiaire, mais je ne
peux m’empêcher de demander, comme mon interlocuteur numéro 11 :
qu’auriez-vous fait ?
* voir mon précédent billet
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